Michel Brugerolles

Textes

Le Regard Passion de Michel Brugerolles - Robert Grélier

« L’émotion ne s’ajoute ni ne s’invite. Elle est le germe, l’œuvre est l’éclosion ». Georges Braque

À le voir dans sa démarche nonchalante on sent tout de suite que Michel Brugerolles aime prendre son temps ce qu’il manifeste dans son travail créatif. Ne pas avoir peur de construire un jour et d’abattre le lendemain ce qui était la joie de la veille. Ce qu’il appelle « le temps du recommencement ». La gravure a des exigences que l’on doit respecter, même si le champ des libertés est illimité. Les étapes se succèdent au rythme des techniques employées, dont certaines vieilles de plus de sept siècles. Dans tous les cas l’artiste se doit de maîtriser le hasard du trait sur le métal, gommer l’accident ou l’utiliser comme un complément, doser avec l’expérience acquise les morsures de l’acide, responsabiliser les encres.

Ainsi, après une liasse de réflexions, apparaissent sur le papier choisi minutieusement, des lambeaux d’histoires personnelles à n’en plus finir. Parfois ce sont des lettres tracées, écrites ou imprimées, alphabets illisibles que Michel Brugerolles envoie à des destinataires inconnus. Le graveur ne doit jamais oublier qu’il est artiste autant qu’artisan imprimeur. Avant chaque plaque de cuivre ou d’acier, il y a le dessin d’après nature. Puis le graveur transforme, édulcore, simplifie, affine, déforme, anoblit au fil de son imaginaire insatiable. C’est à ce moment précis qu’entre dans un jeu de mise en scène la passion du travail bien fait. Comme le dit si bien Gaston Bachelard : « L’encre circule comme un sang noir ». Dans les anfractuosités acérées le liquide noirâtre s’étale avec complaisance pour donner le jour à une lumière fuyant l’ombre de la nuit. Là où le soleil libertaire se contraint à se taire, laissant la place aux images d’hier débordantes de miel vert et de menthe fraîchement coupée. Des noirs ou des bleus sur fond sombre pour mieux souligner les subtilités de la couleur. Une référence aux monts d’Auvergne, aux pierres volcaniques couleur anthracite de la ville de Clermont-Ferrand, apparue d’un coup de rouleau encreur. Formes évanescentes et subtiles.

Dans sa série des paysages, Michel Brugerolles élague l’arbre, tout en multipliant ajouts de branches et de feuilles. Les rameaux se contorsionnent pour mieux épouser le ciel. La mousse, expiatoire, qui jusqu’alors enrobait le tronc, ranime le bois mort en lui accordant la brillance des rêves aériens. C’est alors que l’immobilité apparente s’anime et attire notre regard passionnel. La main prolongée par le pinceau ou la pointe sèche s’approprie les qualités d’un outil. Moment privilégié, qui à la sortie de la presse à bras éclabousse de lumière l’atelier. Comme dans un bain d’hyposulfite se révèle les alliages des noirs et des blancs, puis de l’assemblage de l’ocre, synthèse du rouge et de son alter ego safrané.

À ses élèves, car Michel Brugerolles enseigna pendant plus de trente ans, il a répété sans discontinuité cette phrase : « Picasso nous a donné une leçon que nous devons retenir : Il faut être vieux quand on est jeune, pour pouvoir être jeune quand on est vieux ».

Robert Grélier

Seul l’art libère le réel - Jean-Pierre Siméon

Comme tout un chacun libère dans un cri ou un sourire son plus intime secret, le geste créateur fait advenir des êtres et des choses la part enfouie et captive. De quoi était-elle captive ? C’est là qu’il faut parler de ce grand malentendu que nous entretenons – et dont hélas nous nous accommodons trop facilement – avec le réel. Un malentendu qui est d’abord un mal vu. Le réel, c’est-à-dire cette intrication formidable d’objets, de faits, de corps, de visages, de paysages, est victime de notre naïveté autant que de notre paresse. Nous n’en voyons que ce que notre désinvolture nous permet d’en voir : le contour, le volume, la couleur et le sens tels que la convention, l’habitude et le bon sens le définissent – et toute définition est une clôture. Il faut comprendre que disant cela, je dis ce qui m’attache si pleinement à l’art de Michel Brugerolles.

Brugerolles ne représente ni n’interprète l’objet : il dé-clôt, il dé-forme, il dé-figure la figure pour lui restituer sa présence perdue dans le stéréotype. Il ne nous invite pas à reconnaître (cela rassure), mais à re-connaître (cela forcément déconcerte) ce que nous méconnaissions. Quel qu’en soit le sujet, ses gravures se détournent – et même les combattent – des apparences arrêtées : les apparences arrêtées sont comme les idées arrêtées, la preuve d’une approche mesquine et poltronne du monde.

Prenons par exemple une nature morte et un danseur : ce qu’on voit chez Brugerolles c’est que la forme d’un fruit rond-à-peu-près est un mouvement de danse suspendu et que par ailleurs la danse arrondit tout. Aviez-vous jamais remarqué que toute danse commence dans un élan et finit dans sa courbe ? J’ai découvert chez les danseurs de Brugerolles que tout mouvement est un geste rond, que sa logique est d’arrondir les angles. Voilà pourquoi en retour, dans ses gravures, le fruit et l’arbre dansent ; ici toute courbe est prémonition du mouvement.

Prenons par exemple encore les variations sur l’avion-jouet : nul doute qu’on pourrait les légender d’un Magrittesque : « Ceci n’est pas un avion ». Ce n’en est pas un en effet mais cela dit ce que sont, essentiellement, un avion, l’aviation et toute l’aéronautique : un rêve de gamin. C’est que Brugerolles ne représente jamais le réel en majesté dans l’éclat de son autorité assise. Une nature morte n’est pas la preuve de la bourgeoise et confortable harmonie à la manière hollandaise. Elle est l’occasion de voir le réel dans la coulisse et même dans la loge : avant le maquillage et le rôle qui les figent dans un type et une signification commune. Non seulement la nature ici n’est pas morte mais, à l’inverse, saisie dans son principe, c’est-à-dire à l’état naissant : ça bougera bientôt ou du moins ça bouge encore.

Voilà pourquoi peut-être notre graveur aime tant représenter les coulisses du théâtre : cet avant-paraître où l’on voit que les apparences sont un jeu de composition, qu’il n’y a de réel sous nos yeux que préparé. En expulsant les objets offerts à nos regards de leur forme et de leur équilibre prévisibles, sans lâcher leur figure, Brugerolles donc, j’y reviens, les libère. Mais, et voilà qui me plaît par-dessus tout, nous ne sommes pas chez lui dans une démarche conceptuelle, analytique et surplombante. Il s’agit d’une expérience sensible, concrète, partageable dans l’instant de la sensation. Déplacer les lignes, les mettre en mouvement, bousculer les proportions admises, s’abstenir de la couleur pour en rendre les principes, le contraste et la nuance, tels sont les moyens modestes du retournement de la perception que propose l’œuvre gravée de Brugerolles.

On a pu avant lui, d’aucuns le font encore à l’envi, contester l’emprisonnement du réel dans la convention par le recours au hasard, à l’aléatoire, au désordre, à l’ensauvagement du geste. Je considère pour ma part autrement plus courageux et admirable, et somme toute efficace, de recourir à des moyens inverses : ceux qu’imposent l’atelier du graveur, la précision du geste, la netteté de l’intention, la science des matières, la patience, l’art du calcul et du dosage, la fougue concentrée dans la pointe d’un stylet. On peut exhiber le désordre, accumuler, agglomérer, jeter, couper des matières, pour, artistiquement, contredire les normes de représentations. Soit, cela signifie une rébellion, pourquoi pas, je ne crache pas dessus. Mais cela ne signifie qu’un refus. L’art peut et doit plus.

Ce que fait par exemple Brugerolles : par le savoir et la maîtrise du dessin et du dessein, par discipline et par astreinte, reformuler le réel pour le révéler autre dans son apparence même. C’est dépasser le stade nécessaire mais au vrai adolescent du refus, et s’engager dans ce chemin d’utopie que devrait toujours être l’art : offrir à tous l’expérience d’une vue désencombrée, d’un regard libre face au réel. Voyez quelle leçon je tire de l’art discret, gai autant que scrupuleux, de Michel Brugerolles : on n’est pas libre par hasard, on s’y efforce. N’oubliez pas : ceci n’est pas un avion. Mon propos est politique, en effet.

Jean-Pierre Siméon
23 juin 2012

Quand l'art réenchante le monde - Patrick Mialon

Jalons sur le parcours artistique de Michel Brugerolles

Dans une époque ou le progrès technique tient lieu de merveille, le slogan publicitaire de poésie, la posture ou l’imposture d’œuvre d’art, en bon graveur, Michel Brugerolles creuse son sillon. Sans tapage ni esbroufe, avec autant de rigueur que d’amusement, autant d’inventivité que de fidélité au métier. Au vrai métier. Celui qui embrasse dans une même étymologie, un même bain primordial, savoir-faire et créativité. Dans la discrétion et le retrait propice de l’atelier, depuis des décennies maintenant, il poursuit sa route, peu soucieux des diktats esthétiques du moment, des tendances et des figures plus ou moins imposées, bien conscient que l’art véritable est un chemin buissonnier souvent bordé d’ornières et que l’on doit ouvrir, plutôt qu’une très balisée autoroute de la communication qu’il suffit de suivre.

Pourtant, il en a traversé des périodes, croisé des mouvances : le Post-surréalisme dans les années 60, l’Abstraction lyrique à la Mathieu, le mouvement Support/Surface dans les Seventies puis encore les Néo-réalistes, les Hyperréalistes, la Figuration libre dans les années 80, le culte – devenu un souverain poncif – des installations dans les années 90, jusqu’à Jeff Koons et la Kitschitude branchée des années 2000… et il s’en est toujours sorti indemne. Autant dire qu’il est difficile de lui raconter des histoires ! S’il est bien fils de Duchamp comme tous ceux de sa génération, il n’a jamais pensé pour autant que « tout est art », la posture facile de ceux qui, au nom du Concept - un concept mal compris – rechignent au labeur, au corps à corps avec la matière autant qu’avec l’Imaginaire1. Ancien enseignant des Écoles d’Art, il en a entendu des belles venant des tenants de la modernité à tous crins – celle qui ne sait pas qu’un jour elle sera passée, « ancienne » si elle ne « tient » pas, si en son centre n’existe nul véritable noyau dur – déclarant à qui veut bien l’entendre que la Peinture a fait son temps, que la Gravure, que le métier sont archaïques et qu’il est grand temps de couper le fil reliant l’artisan à l’artiste.

Dérisoire, anachronique querelle qui se trompe sur les fondamentaux autant que sur l’essence de l’art… N’allez pas penser pour autant que Michel ne s’intéresse pas aux outils modernes ! Des outils, depuis ceux de la cabane du jardinier ou du bricoleur à ceux de la palette graphique des derniers logiciels, il en raffole depuis toujours. Depuis l’enfance. Depuis l’enfance de son art. Encore faut-il qu’ils soient au service de l’Invention, de la créativité et non de son asservissement. Car, derrière le burin, le crayon, le pinceau ou la brosse, fussent-ils virtuels, il doit y avoir un artiste digne de ce nom. Je veux dire un créateur, car c’est bien de création dont il s’agit. La création, le fameux Poieïn des Grecs, ce souffle léger de l’inspiration qui susurre à l’oreille des poètes, des musiciens et des peintres. De tous ceux qui aiment caresser la muse en s’amusant. Or, s’il est un plasticien qui est aussi, qui est d’abord un poète, c’est bien Michel Brugerolles. Il suffit pour s’en convaincre d’en référer aux titres de ses œuvres : Où rode le secret, La forêt rouge, L’agrément du charme, La danse des voisins, A la poursuite du cheval blanc, Un dimanche à La Ferté, Les manufactures forestières, Intime refuge ou encore : Demain la lune sera bleue, sans oublier parmi tant d’autres, celui-ci, rejoignant le rêve et titillant l’oreiller : Au-delà du sommeil… La liste serait bien longue et on pourrait à partir d’elle inférer la tonalité, l’univers, que chaque composition plastique se propose de mettre en scène : le fantastique dans Les manufactures forestières, le lyrisme érudit dans Lucioles et étoiles rares, l’ironie dans Souris d’hôtel, la mélancolie dans Les sentinelles du poète… Combien d’écrivains en herbe ou de simples amateurs, sans même connaître l’interprétation picturale que pourrait en faire l’artiste, se prêteraient volontiers au petit jeu du « Vous avez un titre, à vous de rédiger le texte qui va avec » ?

Mais, au-delà des mots, ce qui confère à Brugerolles cette sensibilité poétique, c’est la quête de l’Enchantement, de l’éblouissant miracle. Celui de l’instant ou du hasard, des émotions ou des rencontres. Des belles rencontres. De l’Autre tout d’abord et, en particulier, des femmes, mais, plus généralement, celles de tous ces corps, mouvants et émouvants, virevoltants de ci de là, un peu partout dans ses œuvres. Celles encore des objets incongrus, déplacés, laissés pour compte ou qu’on ne sait pas voir : des fruits irradiants sur une table et que personne ne remarque dans leur pourtant splendide humilité, un râteau remisé, une brouette délaissée, un paysage hors-cadre mais qui pourtant crève l’écran de notre imaginaire. Comme tant d’artistes qui ont de leur empreinte marqué leur époque, Michel ne s’est jamais remis de son enfance, il n’a jamais vraiment accepté le génocide créatif et sensoriel que constitue le passage à l’âge adulte. L’enfance, le seul pays qui vaille la peine et dont pourtant l’écrasante majorité d’entre nous a égaré le passeport qui y donne accès… En d’autres termes, il n’a pas voulu casser ses jouets ou les mettre au rebut. D’ailleurs, le rebut, le bric-à-brac, il en a fait précisément son terrain de jeu. Et, de ce jeu, il a fait une jouissance, une jubilation, pour les yeux du public qui vient voir son travail. C’est Nicolas Poussin, le grand maître et coloriste hors pair qui a su rendre avec un rare brio la solennelle beauté du monde, qui déclarait en son temps : « L’Art c’est la délectation ». Nul doute que notre artiste ait, par-dessus les siècles, parfaitement reçu le message et compris son urgente nécessité dans notre époque mercantile aveuglée par l’amoncellement d’images, le plus souvent vides de sens et de profondeur.

Il est une gravure qui, à mon sens, illustre parfaitement la posture temporelle, le rapport au fugitif, à la précarité des instants, il s’agit de Lunette arrière, une œuvre un peu nostalgique, où, dans le cadre arrondi d’une voiture des années 60, s’inscrit comme en un trumeau, un paysage qui s’éloigne et que le passager veut pourtant saisir une dernière fois dans son évanescence. Il y a beaucoup de choses là-dedans : la découverte enchantée d’un enfant à l’arrière de la 4 cv, le dimanche après-midi avec ses parents, la toute neuve préhension du cadre et, au-delà de cette mise en abyme, l’intuition que l’Art – cet enregistreur du sens et de la beauté – peut être une réponse à la fragilité, à la labilité des instants. Et, de fait, ce rapport au Temps et à l’Espace, sera l’un des axes majeurs structurant la réflexion de l’artiste qui, ne l’oublions pas a commencé sa carrière dans la proximité de ce que l’on nommait alors L’École visionnaire de Paris. Pour le reste, si le travail d’un écrivain peut tourner autour de quelques topoî, de quelques signifiants, il en va assez de même pour un plasticien. Sans parler des périodes utiles, par exemple, pour rendre lisibles les mutations d’un Picasso, on peut, selon les dires mêmes de l’artiste, le ramener à quelques thèmes génériques qui ont jalonné son parcours et que l’on peut classer en : Maisons , Avions, Natures mortes, Danses et mouvements, Paysages… Et, signe d’une proximité consentie, une troublante alchimie s’opère encore pour parapher une trajectoire, signifier une cohérence : ces derniers se répondent, se croisent, s’amendent les uns les autres. On pourrait même dire que, à l’instar des poupées russes, ils s’autogèrent avec une confondante facilité.

Au commencement, comme l’on dit dans la Genèse, il y avait, près de l’appartement familial, des cabanes de jardiniers menacées par l’urbanisation grandissante et, au-dessus de l’une d’elles, un petit avion qui tenait lieu de girouette… Et voilà comment s’amorce un cycle : les cabanes appellent les maisons et l’avion l’espace, le mouvement inattendu, la plongée et la contre-plongée, les loopings… Lesquels loopings suscitent les figures des danseurs sur les parquets, bien aidés en cela par le goût de notre graveur pour la musique des ballets de Stravinsky, Prokofiev ou encore de Falla (à la place de Poulenc). Des œuvres vont alors naître de cette double recommandation des Muses telles que Les matelots, Le train bleu ou encore Sur une musique de Georges Auric. Puis, la musique concertante - et déconcertante – de Gustav Mahler prend le relais et va, à son tour, inspirer des réalisations comme Lotissement Mahler ou Les manufactures forestières. Viendront ensuite la série des Natures mortes, comme en contrepoint, un peu à la façon des appoggiatures, la vieille tradition des œuvres quiètes, au silence habité, ayant toujours exercé un fort pouvoir d’attraction sur les graveurs de l’œuvre au noir toujours proches de la méditation.

De là au paysage grandeur nature, il n’y avait qu’un pas et c’est ainsi que se boucle la boucle : il suffisait à l’artiste de dérouler le film de sa fantaisie, de son imagier personnel pour que l’ensemble des figures et des figurants se mettent à vivre, à virevolter, comme sur la lanterne magique d’un Marcel Proust enfant. Et, démarche proustienne s’il en est, au bout du parcours, vingt ou trente ans plus tard, Michel va, comme en un temps retrouvé et indéfiniment recomposé que seul l’art autorise, se mettre à reprendre et retravailler des œuvres délaissées à nouveau découvertes et réinterprétées. Oh, certes le traitement, l’entrée en matière, dans le cœur du sujet a évolué au cours du temps, même si Michel a toujours pensé que le dessin était un processus mental indispensable pour comprendre, esquisser et concevoir des projets artistiques. A ses tout débuts, dans le giron de l’École visionnaire de Paris et pendant les deux années passées à la Casa Velasquez, fidèle en cela à l’héritage des Surréalistes belges ou français, il accordait une grande place aux collages à la Max Ernst ou à la Prévert, puis son entrée dans le corps enseignant d’une école d’art aida grandement notre artiste multisupports à élargir ses connaissances du champ artistique pour les retransmettre à ses étudiants. Au tournant des Années 80, en pleine période Support /Surface et en réaction à ce discours dominant (mais qui s’en préoccupe aujourd’hui ?), il opte, transgression majeure, pour une démarche figurative en réalisant des dessins de grande taille aux crayons de couleurs pour rendre ses cabanes de jardins faites de bric et de broc. Mais, le plus souvent, c’est le sujet, le type d’image, qui détermine le choix des moyens. Moyens souvent composites au demeurant, associant des techniques mixtes comme c’est le cas dans la gravure intitulée Une forêt d’avant, proposant une sanguine très XVIIIe siècle revisitée à la couleur avec, en arrière-plan, l’idée, un peu folle, de « peindre comme sur la toile ». Au final, l’important pour lui étant de renouveler le miracle, de déclencher l’émerveillement en créant de toutes pièces des univers picturaux rares, parfois sortis de rien, un peu comme Max Ernst qui, en son temps, au moyen d’une simple éponge, déployait par imprégnation les frondaisons d’une forêt fabuleuse.

Car, chez Brugerolles, la tentation de l’alchimiste n’est jamais bien loin et c’est avec une réelle jubilation que, dans le cadre propice de son atelier, il se met lui-même au défi. Celui concernant la belle œuvre au titre très incitatif de Imaginons un fleuve, étant tout entière centrée sur la problématique consistant à rendre l’élément liquide avec de la rouille. En d’autres termes, il s’agissait de savoir comment faire jaillir de l’eau, non pas à partir d’un rocher et d’un bâton mais d’un simple résidu de la matière afin de la sublimer en une création improbable. On le voit à partir de ces quelques exemples, chez Brugerolles, le peintre n’est jamais très loin du graveur, pas plus que du dessinateur. Sans oublier bien sûr le bricoleur dont on sait par Levi-Strauss l’importance déterminante de ce dernier dans le processus d’émergence de l’œuvre d’art. Et, dans ces divers domaines, Michel a parfois montré dans certaines expositions (comme celle de Volvic autant que je m’en souvienne) l’étendue de ses réalisations mêlant dessins, objets, boites, peintures, gravures, afin de rendre de la manière la plus saisissante l’avion dans tous ses états, les danseurs dans tous leurs ébats – amoureux et fragmentés - ou encore la simple roulotte d’un cirque ambulant dans toute sa poésie…

Aussi, si je devais synthétiser ma pensée, je dirais que c’est la captation de ce que les anciens appelaient joliment les minutes heureuses, qui, à mon sens, caractérise le mieux notre artiste. Qui le meut et l’émeut. Qui le propulse en avant de lui-même. Avec le tenace désir de partager et de faire partager ces instants. Avec les autres, tous les autres. Dans son œuvre, c’est cette profonde humanité qui me touche. Et puis l’homme derrière l’artiste a toujours eu un côté brave type, Front populaire et congés payés sur la Grande bleue, réminiscent par bien des aspects, d’un Charles Trenet pétillant, d’un Ray Ventura et de ses Collégiens chantonnant à l’envi et jusqu’à la contagion « Qu’est ce qu’on attend pour être heureux ? ». Mais oui, vraiment, vraiment, au juste, qu’est ce qu’on attend ? Le bonheur est possible, il est là tout proche. Au meeting aérien peut-être ce dimanche, rue de Lappe à Paris ou au bal des pompiers à Vic-sur-Cère cet été pendant la vogue, sur les autos-tamponneuses d’une fête oubliée jouant à touche-touche avec la jolie blonde ? Il suffit pour cela d’être au centre de son désir et de trouver la piste.

Patrick MIALON

1 Il est frappant de constater que trop d’étudiants des Écoles d’art ne veulent voir en Duchamp qu’un simple iconoclaste, faisant ainsi l’impasse sur sa véritable dimension artistique.

Michel Brugerolles par Jean-Pierre Siméon

Michel Brugerolles est un peintre, un dessinateur, un graveur et à l’occasion, si le cœur lui en dit, un installateur d’objets – celui-ci, somme toute, fait ce que font les trois autres mais en architecte, c’est-à-dire dans l’espace. Nul besoin d’être grand clerc pour saisir derrière ces quatre avatars et sous la déclinaison ouverte des motifs, figures et procédés narratifs les quelques points de cohérence (j’y reviendrai), qui instituent la singularité sans laquelle il n’y a point d’artiste qui vaille : il est le tenant d’un point de vue (cela concerne l’œil et l’esprit ensemble) sans égal. Sans égal pour moi ici ne signifie pas supérieur – même si la supériorité des moyens et des savoirs mis en œuvre est le minimum exigible chez un artiste qui s’expose – mais non-ressemblant. Voilà : le travail de Brugerolles, ou plutôt l’effet de son travail, est non-ressemblant. C’est dire qu’il procure à qui l’approche une émotion neuve, imprévue : un soudain ravissement (on pourrait dire raptus), trouble, étonnement et plaisir, dans l’âme, dans le cœur, dans la pensée, dans la peau (allez savoir où elle se niche cette sorte-là d’émotion), un ravissement donc qui n’advient que lorsque l’art est à la hauteur et qu’il nous rend autre l’ordinaire réalité. Peut-être jugera-t-on que, nature enthousiaste aidant, je force un peu le ton de l’éloge… Je sais bien que dans les galeries de l’art contemporain qui ont souvent quelque chose des chambres froides on ne parle pas si haut et que la mode est de souffler entre ses dents de mesurés jugements solidement étayés etc. Soit. Je m’en bats l’œil. N’aurait-on plus droit à une franche et pure empathie et faudrait-il qu’on ne s’exprime devant le fait artistique qu’énonçant avec componction de savantes arguties qui en remontreraient à tous en fait de contextualisations, historicisations et autres tintinnabulations théoriques ? Qu’on m’excuse mais l’œuvre de Brugerolles me plaît avant de m’intéresser, elle a un air de bonne santé, une façon intelligente et amusée, elle manifeste une si jubilante maîtrise des techniques qu’elle me procure, oui, du plaisir avant toute chose. Et je sais bien pourquoi encore. Il y a chez notre quatre-artistes-en-un une jouissance de la forme et de la couleur (je n’excepte évidemment pas les différents états du noir et du blanc), une intuition gourmande du geste, une ronde sensualité de la ligne qui font que, comme disait Eugène Leroy, cela « chante juste à l’œil » toujours. Qu’importe la figure désignée ! L’avion, le fruit, le danseur ? Ils chantent. Et puis il y a aussi ceci dont je doute que la plus affinée des sémiotiques ou des poïétiques saisissent jamais dans une œuvre d’art les tenants et aboutissants : la capacité au mystère qui consiste à faire qu’il y ait autre chose que la chose vue dans la chose vue, un secret qui agit de l’intérieur, une vie dessous qui tremble à la surface. Oh beaucoup y prétendent et nombreux sont ceux qui pour cela convoquent une lourde machinerie conceptuelle ou des stratégies technico-branchées. Peu y réussissent comme Brugerolles, c’est chez lui comme une grâce particulière. Mais ne croyez pas aux miracles : ainsi qu’il arrive toujours en peinture depuis Lascaux, la vibration des couleurs et la mélodie des formes sont la conquête de l’artisanat le plus humble et le plus crupuleux : savoir alchimiste des matières, patience, ruses de l’œil, tact, affût et précision, déliement souverain du geste. C’est parce que avec un courage tranquille, il maintient pour ses inventions les plus anciennes prérogatives de sont art que Brugerolles se montre un maître-artisan du mystère qui court sous les apparences.

Il y a chez Brugerolles un vieux rêve de funambule - Patrick Cloux

Il y a chez Brugerolles un vieux rêve de funambule. Pas le truc hypervoyant, démonstratif et tralalaire.

Non ! Plutôt un funambulisme d’ordre privé, discret, apparenté à une sorte de somnambulisme de fin d’après-midi au plus fort de ralentissements et d’écarts soudains, penché comme il peut l’être longuement sur une plaque à graver. L’exposition en cours n’aborde que ses gravures, on n’évoquera donc pas le travail du peintre, du maquettiste, du graphiste qu’il est aussi.

Le geste sûr, précis, inventif du graveur est celui d’un artisan d’art, attaché ces dernières années à reprendre des esquisses délaissées. Ou d’en faire des nouvelles, rapides et nettes. C’est épatant ! Se faire ainsi plaisir. Au milieu de tant de contraintes advient subrepticement la belle liberté de l’art.

Brugerolles réinvestit pas mal de plaques déjà utilisées, soigneusement rangées, protégées restaurées ou bien entendu très faussement oubliées et laissées à l’écart d’un travail en cours puis retrouvées, recyclées, découpées et chargées d’envies toutes neuves et de rajouts, de fragments. Il les voit d’un autre œil et nous les laisse ainsi sous les yeux. Certaines ont beaucoup souffert de l’oubli, se sont oxydées. Mais elles comportent en palimpseste d’autres jeux. Le fortuit et l’inattendu désorientent la donne. On découvre ainsi la fraîcheur des premiers jours, des exercices et des œuvres achevées. Un vrai compagnonnage sur des années.

Les gravures agissent alors à la façon de lucarnes, en appel d’air, entrouvertes comme elles le sont sur des séries, des suites et des thèmes récurrents. Elles constituent et charpentent différemment le vocabulaire du peintre et celui du graveur. Il en va d’une autre liberté mais les thèmes se répondent, se répandent : les maisons, les avions, la danse, les paysages.

Cela fait une sorte de diaporama, ventilé aux seules images d’une mémoire aérienne, disposé à retenir les mouvements mais surtout la belle rythmique musicale où se tient la vie. L’artiste est bien installé dans ses marques. À nous d’aller le déranger !

« Bien le bonjour Monsieur Méliès ! Je vous ai retrouvé derrière votre barbe à papa et vos curieux favoris. »

« C’est vrai ! Les pierrots lunaires vous vont si bien. »

« Ne le dites à personne Michel B., ancien professeur aux Beaux-Arts de Clermont-Ferrand, tient en secret un stand de tir et de pipes cassées à la Foire du Trône. Je l’ai reconnu ! »

Il ne m’a pas vu, perdu dans ses pensées, il suivait un ballon rouge échappé au-dessus d’un hangar depuis le ciel de ses onze ans.
Chaque gravure est signe d’un tel royaume d’encre et d’image. En nid d’abeille et autres couvains clandestins. En longue pelote de laine. En pense-bêtes ou en sentinelles, ses titres sont d’ailleurs très poétiques. Michel est discret mais aime les mots. Et le peintre les rapproche. Avion baleine, Les manufactures forestières,  voilà qui feraient de très bons incipits. Les gardes d’un livre clair.

Bien fort celui qui peut dire ce qui est premier de la rêverie ou de la main levée à temps, posée puis retenue sur le poinçon. L’effort de l’épaule qui tourne le volant pour encrer. Il faut bien connaître le tranchant et le fil, la texture des papiers. Celle du support à rayer car on ne peut rien retrancher.

Que penser de la souplesse qu’il y a à toujours retenir la main. On ne corrige pas facilement les ratures sur le cuivre. « Il faut au moins sept ans pour être graveur » dit-il. Les réponses du métier sont lentes à venir. Il faut beaucoup gâcher, se décevoir souvent.

Rien de heurté. Un rythme d’artiste en retrait, loin du Grand Cirque Iconique, - ce qui l’honore ! - vivant comme bon lui semble au milieu de sa propre ménagerie, entre eau-forte, aquatinte et manière noire, estampe, rayures et trempage à l’acide. On n’imagine pas cette lente douceur de l’encre qui à la fin vient récompenser.

Michel parle et raconte, pudique et enjoué, ce qu’il veut rendre, ce qu’il sait, la complexité dominée de ses techniques, grattage, calage, repérage, tirage, variantes, marges, épreuves, conservation.
S’il fallait donner un sens à son œuvre, je sortirai de ma poche d’emblée, une seule carte du tarot : celle du bateleur. De la bonne surprise. C’est un beau jeu celui-là. Une évidence. Il installe ses tréteaux aux coins des rues, et donne à voir, enjoué et lucide comme un clown, triste et gai comme un diable d’opérette italienne.

- Tu dis Maison mais oui ! j’ai cela dans ma besace !
- Petite maison au bord du lac où composait Mahler, baraques foraines et cabanes en tôles ondulées, adulées et rouillées dans les jardins ouvriers, lotissements et autres refuges en bric-à-brac font partie de son inspiration si singulière.
- Ah ! tu veux voir des avions, j’en ai aussi dans mon chapeau. En duralumin ou en plomb, en zinc ou en carton peint. Des girouettes mobiles aux formes étirées, sont nées du travail statique du graveur, de sa main libre, s’autorisent à singer des insectes, se donnent pas mal d'amplitude, pour arriver à lâcher les figures et les formes au-dessus des toits.
- Et si cela ne te suffit pas, je danse !

Oui ! il adore les entrechats ! Sait être le funambule d’une très ancienne histoire de l’illustration. Une sorte de personnage à part puisé dans les planches d’images d’Épinal, mêlées à celle d’un vague catalogue Manufrance égaré au grenier ou à des collages de nos plus discrets surréalistes.

Il aimerait que rien ne disparaisse, qu’aucune lumière ne s’éteigne, que tout dure et s’empile sans fin. Aussi se fait-il une joie de découper et recomposer les mouvements, de s’inviter sans prévenir aux Ballets russes, tout cela pour se défendre du temps qui passe et s’en moquer un peu.

Brugerolles poursuit sans fin les mêmes rêveries. Il n’a de cesse d’accrocher des fils à sa toile, naturellement tendus vers une poétique de l’ordinaire, à la poursuite d’un cheval blanc dans les dunes.

C’est cela son petit bal perdu, ses boîtes en métal de chez Banania - il y avait, je l’ai connue, une fabrique rue de Rabanesse -  Dieu qu’elle sentait bon !

Sont à lui aussi l’agrément des simples soirs d’été où valsaient robes et talons. On y dansait la Rumba. En temps qu’artiste, il habite tous les lieux. À nous tous d’en profiter pour faire un tour de piste, heureux, troublés ou divinement paumés.

Aussi regardez bien a-t-t-e-n-t-i-v-e-m-e-n-t ses gravures.

Les couleurs sont là pour garder la saveur d’une saison, rattraper la sempiternelle émotion chromatique des Delaunay, s’ébattre dans la joie vive des Nabis.

La grande fête du Blabla bat son plein. On garde la pose au son des mandolines et d’un accordéon sirupeux.

Un bal est donné. On se voit en marin mal fagoté, tremblant sous des airs de musiques à la Georges Auric.

Il y a Boris Vian avalant sa trompette. On nage dans tant d’anachronismes et c’est bon.

La vie est faite de ces milliers de collages juxtaposés et mélangeant en prime trente mille histoires ainsi éparpillées comme autant de petites fictions, offertes exprès pour vous caresser d’abord puis vous décoller la rétine en douceur.

On est au beau fixe d’un bal populaire et canaille. Puis d’un coup au milieu des flonflons, voilà qu’on s’envole.

Nous cavalons au grand meeting aérien, les yeux écarquillés au pied d’un vieux DC3. C’est un dimanche à la Ferté, un bricolage lyrique et appuyé des carlingues, la paix revenue dans les cordages des biplans, le tournoiement brancusien des hélices d’acacia. Loopings, petites robes Vichy et vols libres. On peut marcher sur la tête, canarder ses voisins et survoler les champs comme autant d’aquariums ou de fjords. Vue de là-haut la Terre est splendide.

Aimer graver puis transmettre cette fluidité une fois imprimée
Faire des choses à la fois très lentes et très courtes, les encadrer
Retrouver par brossage et essuyage les gestes d’évidence du peintre
Recouvrir une plaque de cuivre au vernis pour la retravailler contradictoirement

Voilà bien l’énoncé d’une petite partie de l’expérience.

Ainsi voit-on poindre sur le papier des lucioles sous des nervures, des branches courbes à partir de fougères, une possibilité native et très attractive de voir enfin surgir de quelques plaques plongées au moins deux jours dans l’acidité ou le bitume, des paysages imaginaires plus vrais que des vrais, des trous d’air encrés en creux sous le passage à la poupée d’une dominante d’un jaune d’or solarisé ou de simples traces rougies appliquées vivement au chiffon.

Cela impose soudain des ciels d’un infini rustique et pionnier, parodiant quelque amer romantisme post-avant-gardiste, des arborescences faites de lavis, rudes et serrées car frottées au papier de verre, roulées au pinceau sous des passes délaissées.

J’ai pas mal de goût pour ces grands formats, nourris de zones de risques où Brugerolles cherche et tente le sort pour notre plus grand attrait.

De très beaux rendus ces temps-ci. Une maîtrise certaine et appliquée s’offre des sorties de route. Les jeux visuels gagnent en inventivité à partir de la moindre nature morte, des éclats d’objets, des jeux de mots autour d’un coing, les sublimes ombres portées d’une forêt rouge.

On en vient dans les grands paysages à des abstractions gestuelles, fortifiées par des sanguines de haute époque, ce qui est très étrange et bien confondant. Mais on peut imaginer aussi la nature depuis la lunette arrière d’une voiture entrevue, la nuit, il y a bien longtemps autour des années 60 et ne pas s’en lasser si vite.

Posséder des gravures, c’est s’exposer à les voir chaque fois différentes.

Michel aime semer sans faire de bruit. On a de la chance. Laissons-nous faire.

Patrick Cloux

Aux graveurs d’aujourd’hui par Michel Brugerolles

À tous ceux à qui j'ai pu transmettre ce savoir-faire magique

Voulant s'éloigner peut-être, de certaines turbulences hermétiques de l'art du moment et du « toujours plus vite, toujours plus neuf » imposés par nos nouveaux regards zappeurs, les artistes graveurs se sont donné le courage de prendre le temps : le temps de l'apprentissage, le temps de l'exécution, le temps du recommencement. Enfin, le temps d'une écriture… À travers leurs actes créateurs ils veulent se protéger et nous protéger. Un sens profond anime tout cela, une sagesse entreprenante, communicative. Ces artistes veulent préserver leurs parts d'autonomie, d’authenticité, de liberté intellectuelle qui se gagnent dans l'effort, l'humilité et le plaisir. Vaste posture qui va, de la jubilation de l'enfant qui grave sur la plage mouillée une trace éphémère, dans la magie du jeu, à la solitude de l'écrivain qui, seul devant sa feuille blanche, cherche à nous dire qu'il ne peut continuer à vivre sans nous, sans nos mémoires, sans nouvelles inquiétudes à surmonter.

Ne nous y trompons pas, malgré l’usage revisité des techniques ancestrales, ces artistes sont ancrés dans leur temps, sans amertume, sans nostalgie. Ils sont dans leur modernité créatrice. Ils s'aventurent sur des pistes à risques, souvent décriées. Ils sont ballottés entre les doutes, les déconvenues, les choix à faire, le renoncement envisagé et cette fragile étincelle intérieure de l’achèvement pour laquelle ils persévèrent.

II y a là une dimension morale et de la vaillance à oser s'exprimer aujourd'hui par le dessin et sa forme pérenne : la gravure.

Ici, on ne peut pas tricher, une faiblesse se détecte par l'intelligence d'un bref regard, loin des effets pièges du spectacle.

Depuis des années, avec pugnacité, ces artistes esquissent sur le papier et tracent sur le métal, des signes, des formes, des matières, des petites mises en scènes. Ils échafaudent des imaginaires déroutants, ils trouvent des émotions subtiles dans une ambiance de laboratoire, sans faillir. Ils dessinent, gravent, dessinent et gravent encore. Ils récidivent.

Remercions-les, pour la générosité d'un dessin, l'opiniâtreté d'une gravure et, espérons-le, pour ces quelques émotions qui éveilleront en nous le besoin de construire un monde de probité et de poésie.
Il faut du temps, de la persévérance et beaucoup d’humilité pour trouver sa voie en gravure.

Mais, en contrepartie, ce chemin d’embûches procure de grandes satisfactions. C’est l’univers magique de l’image révélée par les combinaisons des blancs et des noirs, du propre et du sale, de l’endroit et de l’envers, du creux et du relief. C’est l’alliance de la fragilité du papier avec la dureté du métal. C’est la détermination, l’engagement nécessaire qu’il faut avoir face à la quasi-irréversibilité du dessin gravé. Ce sont ces odeurs âcres des acides, ces petites musiques de l’encre… Ce sont ces longs labeurs improductifs pour un instant d’intense étonnement. Ce sont ces métissages techniques où la modernité surgit de la mémoire.